Masques et Gestuelle

Le masque est un objet essentiel à la Commedia. Il est l'incarnation physique du personnage qu'il représente. Lorsque l'acteur le porte, c'est tout le personnage qu'il revêt !
En lombard (langue d'un peuple germanique ayant envahi l'Italie en 568 après J-C), maska signifie l'âme du défunt. Ce nom traduit bien la capacité de ces objets à mourir lorsqu'ils ne sont pas portés et à renaître une fois sur le visage de l'acteur. Mais l’Église, qui n'aime pas que l'on joue avec cette notion, a décidé de l'assimiler à un objet diabolique et ainsi condamner les comédiens masqués.

La  Maison de Bernarda Alba. Mise en en scène Matthieu Cessac


Le jeu masqué:

Pour faire vivre le masque, l'acteur doit amplifier au maximum les mimiques de son visage. Être surpris implique d'avoir la bouche grande ouverte et l'air stupide, être heureux c'est donner tout son sens à l'expression sourire jusqu'aux oreilles, et pour avoir faim, l'acteur peut même aller jusqu'à baver ! L'exagération, c'est ça la clef du jeu masqué. Pour donner vie au masque, l'acteur doit également faire attention à ce que le public voit ses yeux : il doit attaquer le public, garder un port de tête suffisamment haut et droit et ouvrir grand les yeux à l'horizon. Il peut aussi mettre de la crème blanche sur les contours pour accentuer le regard et éviter d'avoir l'impression que les yeux sont loin du masque. De plus, il faut garder à l'esprit qu'un masque de profil a beaucoup moins d’intérêt que lorsque qu'il est de face ; l'acteur procède donc à une chronologie précise :
  • Observation : L'acteur tourne la tête vers l'objet, le personnage important.
  • Réaction : L'acteur se place face public à nouveau. Il joue l’émotion suscitée par ce qu'il a vu.
  • Action : Une fois la gestuelle placée, l'acteur a le droit de parler et de se déplacer à nouveau.
OBVERVATION





















REACTION



ACTION














La décomposition est très importante dans le jeu du masque. En plus d'offrir des effets comiques, elle ralentis le jeu et permet aux spectateurs de facilement comprendre l'action. La règle d'or est "un pas, un geste, un son" : on se déplace, on effectue un mouvement, et seulement ensuite on parle. Les meilleurs jeux sont les moins confus, et cette technique permet justement de clarifier les choses : effectuer un mouvement particulier en marchant fait que celui-ci risque d'être altéré. Or il est important de bien poser les choses. Chaque geste a une signification particulière, il doit être tenu aussi longtemps que possible pour favoriser la création d'une image. Même chose pour la prise de parole : il faut poser la voix et non baragouiner en marchant.

Par exemple:

ARLEQUIN: *arrive joyeusement en sautillant. se pose face à la scène et pose fièrement les poings sur les hanches* J'ai attrapé un poisson! Il étais gros... *changement de position, il écarte les bras* comme ça!

PANTALONE: Ah oui? Et pourquoi ne me l'as tu pas apporté, ton poisson?

ARLEQUIN: *laisse retomber ses bras, penche la tête et fait la moue* Il s'est échappé...



Le jeu du masque demande donc une grande maîtrise de son corps, car cette décomposition est tout sauf naturelle ! Les acteurs font un travail quotidien de cette gestuelle et en plus de cela entretiennent intensivement leur corps. En effet, si cette gestuelle est agréable à regarder, elle leur demande un gros effort physique. Il doivent maintenir des équilibres farfelus, grimper sur le décor, faire des sauts plus loufoques et audacieux les uns que les autres... on retrouve ainsi la roulade arrière et le saut d'Arlequin ou encore le célèbre soufflet de Scaramouche, donné avec le pied !

Les masques




Arlequin:


Le masque d'Arlequin est un demi-masque ; c'est à dire que la bouche et le menton sont visibles. Il est foncé, et parait-il rappellerait ainsi les visages couverts de suie des charbonniers de Bergame (ville natale d'Arlequin).
Son front et ses sourcils sont très nettement arqués, ce qui renforce l'aspect creusé des joues. Ce même creux rappelle le fait qu'Arlequin est toujours affamé. De même pour les yeux, qui, tout ronds, annoncent plus que de la ruse, une grande gourmandise.
Sa bosse sur le front peut être assimilée à une verrue, une ébauche de corne diabolique ou bien le résultat d'un simple coup de bâton.




Pantalone:



Son masque est brun et doté d'un nez aquilin et proéminent. Celui-ci fait penser à un bec de rapace, et n'oublions pas que Pantalone est justement souvent assimilé à un vautour.
On lui ajoute parfois de longues moustaches et une barbe blanche allongée en pointe qui créent un effet comique lorsqu'il parle.









Goldoni dit de celui-ci que sa couleur évoque la peau brûlée des habitants des hautes montagnes. Il est plus bestial et plus rusé que celui d'Arlequin. Les traits de ses joues et ses orbites sont tirés vers l'extérieur/ Ses narines sont larges et font penser au museau d'un singe malin.





Dottore:



Son masque ne couvre que le front et le nez du comédien. De fait, on s'amuse souvent à rougir ses joues pour lui donner un aspect ridicule, voire même sous entendre un certain plaisir à tutoyer la bouteille.












Capitan:




Le masque du Capitan est rouge ou très foncé. Il est doté d'un nez long et fier, digne du grand Cyrano!

Il se félicite également de longues moustaches hérissées que Pierre-Louis Duchartre qualifie comme étant de "véritables chevaux de frises défendant les approches d'une citadelle trop facile à prendre".










Polichinelle:



Le masque est noir, aussi lourd que le personnage dont il est issu. Les joues sont tombantes, le front ridé et le nez aquilin. Il est également affublé de plusieurs bosses et à nouveau on se questionne... verrues ou cornes du Diable?











 La fabrication des masques 

Le secret des Mascheri, célèbres confectionneurs de masques vénitiens du XVIIème siècle, était tombé dans l'oubli jusqu'à ce que le sculpteur italien Almeto Sartori en retrouve les techniques.
Ses premiers essais furent un échec: les masques se déformaient sous l'effet de la sueur et étaient douloureux pour les comédiens. Il a donc travaillé le cuir, le bois, a étudié les masques africains, japonais...
En 1951 il réalise ses premiers masques en cuir traditionnels. Avec Jacques Lecoq, il a également participé à l'élaboration du masque neutre.
C'est aujourd'hui son fils Donato qui poursuit ses recherches.

Autre grand sculpteur de masques: Erhard Stiefel. Né à Zurich en 1940, il entre à l'école des Beaux-arts. La capacité des masque à révéler l'âme des personnages qu'ils représentent le fascine et il décide de se lancer dans leur conception.
Il devient spécialiste du théâtre Nô (art théâtral japonais ancien où l'on retrouve l'utilisation des masques), et rencontre en 1936 le célèbre Jacques Le Coq. Par la suite, il collabore avec Jean-Louis Barrault puis devient le sculpteur attitré du théâtre du Soleil sous la direction d'Anne Mnouchkine dès 1968.
En 2000 il se voit décerner par le ministre de la culture le titre de maître d'art.
Il possède aujourd'hui un atelier permanent à la cartoucherie de Vincenne où il compose des masques de toutes sortes: bois, cuir, laque et même lin pour les opéras!
A 25 ans il réalise un véritable exploit: confectionner à lui seul 150 masques pour le Châtelet!

Le masque neutre selon Sartori et Le Coq

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